mardi 29 septembre 2009

Rupture

S'agripper à une barre métallique, au montant d'un siège serait pour lui comme renoncer à une partie de sa hargne, comme montrer à sa compagne - elle serrant des deux mains les poignées de la poussette en position frein de leur enfant - qu'il a encore quelque chose à voir avec elle, qu'il a ses moments de faiblesse, parfois. Lui ressembler, même d'un geste, lui paraît inconcevable et nourrit son ressentiment. De toutes façons il ne risque ni de tomber, ni de vaciller. La haine le tient debout, bien raide, ses genoux craquent doucement et assise, un peu plus loin, j'ai l'impression qu'ils produisent des étincelles à travers ses jeans. Il ne se pousse pas pour laisser le passage aux autres voyageurs et malgré le peu de place devant les portes métalliques, on l'évite soigneusement, on glisse autour de lui en prenant garde de ne pas le heurter. Il ressemble à ses arbres surplombant les zones inondées, indéracinables, orgueilleux, ostensiblement immobiles alors qu'autour d'eux tourbillonnent des trombes d'eau, des voitures, des maisons et quelques uns de leur congénères sans caractère, racines à l'air, encore tout plein de terre et de feuilles.

Lorsque le métro freine, il attend que les portes s'ouvrent et il sort ; cela surprend sa femme qui pensait que la situation durerait assez pour qu'il oublie dans quelle humeur il se trouvait l'instant d'avant. Elle émerge de sa torpeur soucieuse et elle pousse un cri. Un seul mais assez surprenant pour qu'il se retourne. Tendant la main et prenant garde que celle-ci ne la voit pas, elle désigne leur fille, tétine dans la bouche allongée dans sa poussette. Ce geste d'une mère qui pense à son enfant alors que son son amant lui tourne le dos me semble d'une beauté douloureuse et je me mords les lèvres pour ne pas pleurer.

Puis l'homme hausse les épaules et s'en va. L'enfant qui l'aperçoit alors sur le quai se met à pleurer mais il en a assez entendu pour aujourd'hui et il s'élance sans regret, vers la sortie.

Illustration : Casey Weldon

lundi 21 septembre 2009

Quelque chose en plus

Je me réjouis d'avoir changé de dentiste. Celle-ci m'a bien expliqué ce qu'elle allait faire et de telle façon qu'il m'a semblé le comprendre mieux qu'elle même. J'avais vu dans la salle d'attente qu'elle avait obtenu son diplôme de chirurgien-dentiste à New-York et j'ai tout de suite pensé qu'on leur apprenait à donner un sentiment de toute-puissance à leurs patients comme les auteurs de polars qui veillent à laisser deviner le dénouement à leurs lecteurs passionnés. Tenant comme un trésor les schémas qu'elle avait griffonnés sur du papier vélin, je me suis allongée et elle a prononcé une formule magique "ça ne fait pas mal". Au cas où j'ai quand même serré les fesses - mais moins fermement que chez mon dentiste précédent - et j'ai fermé les yeux afin d'éviter les débris de dents qu'une roulette à jet propulsait sur mon visage. J'avais une serviette en papier rose sous le menton pour essuyer ma bave et je me sentais parfaitement en confiance, choyée, et certaine que pour une fois les choses allaient être faites correctement lors du plus grand chantier lancé dans ma bouche.

Couvrant le son de la roulette, la dentiste et son assistante se sont alors mises à échanger des anecdotes d'une façon enjouée tout à fait charmante. Je me suis demandée si cela faisait partie du cursus américain de distraire le patient de l'action en cours, en tous cas c'était très réussi. Pendant que je suivais attentivement l'échange de sms de ma dentiste et de son collègue ce week-end je ne pensais plus à la photo sanguinolente entrevue juste avant et prise à l'intérieur de ma bouche. Au contraire, je me suis très vite persuadée qu'il y avait une idylle naissante entre ma dentiste et son collègue et que ma mission dans ce cabinet était, notamment, de mener l'enquête sur des sentiments que les principaux intéressés ignoraient peut-être encore. Ensuite, je pourrais décider, en mon âme et conscience, de les en informer ou de les laisser passer à côté d'un bonheur susceptible de faire des ravages (car je sais que ma dentiste est pourvue d'un mari et de plusieurs enfants)...

Les fautes de conditionnel de l'assistante ont eues aussi leur intérêt (les assistantes suivent-elles des formations à New-York ?) car je les ai perçues au moment où je me demandais combien allait me coûter la destruction puis la reconstruction de ma dent. Allons, il y a des choses plus graves que d'être ruinée, me suis-je reprise alors, de ma bouche en putréfaction émerge un langage plus châtié que de celle, rutilante de l'assistante en talons aiguilles, ceci n'est-il pas plus important que cela ? Mais je suis restée véritablement bouche bée lorsque ma dentiste a commencé à prier à haute voix : "j'aimerais tellement sauver cette dent ! L'espoir est mince, je ne sais pas s'il y a un espoir, mais je voudrais tellement y arriver." Là j'ai su que j'étais au bon endroit et une larme a dévalé ma joue. Jamais personne n'avait pris soin de moi de cette façon... J'aurais envie de dire qu'il y a eu du suspense mais j'attendais seulement de savoir de quelle façon elle allait m'annoncer la bonne nouvelle et elle l'a fait avec une grâce stupéfiante. Ma dentiste est tellement adorable ! Dire qu'avant de la connaître je mégotais pour savoir s'il fallait choisir une couronne en céramique ou en métal... Mais ce qui compte, n'était-ce pas le bien-être de ma dentiste ? Comment va-t-elle partir en vacances et payer ses employés de maison si tout le monde régit comme moi ?

Dans le métro, je ne me lassais pas d'explorer, du bout de la langue, le trou creusé par ma dentiste. Il me manque maintenant une dent juste au fond à gauche, je croyais que cela serait terrifiant, mais c'était juste bizarre, d'une bizarrerie sympathique. Ce faisant je pensais à ma dentiste et aux miracles en général. En face de moi, un homme s'est levé. Je croyais qu'il allait descendre du wagon mais il est venu s'asseoir en face de moi. Il clignait d'un œil sauvagement. Il m'a fallu quelques minutes pour comprendre ce qui arrivait, quand un troisième homme s'est assis près de moi, l'air lubrique. D'aucuns diraient que c'est la nouvelle position de ma langue, arc-boutée vers le fond de ma mâchoire qui me confère de l'attrait, je crois pour ma part que ma dentiste, en m'ôtant une dent m'a donné un petit quelque chose...

Illustration : Kelly Thomson

jeudi 17 septembre 2009

Onde de choc

Il y a quelques jours en lisant ces mots j'avais fait ma maligne. Pour éviter de m'identifier peut-être. Aujourd'hui ils me reviennent à l'esprit sans cesse tandis que je mords mes lèvres ensanglantées ; je pourrais les écrire si je pouvais écrire mais pour l'instant j'attends juste que le gong cesse de résonner dans ma tête...

"Parfois, j’encaisse sans broncher, parce que je suis un bon encaisseur (au propre comme au figuré), j’ai le menton bien dur, voilà. Je secoue la tête et je fouette l’air de mes poings chétifs. De temps en temps, je sens ma mâchoire craquer et un peu de sang couler dans ma gorge, ça a un petit goût acide qui rend fou. Rarement, ça me met down, enfin, knock-down je veux dire ; en jargon pugilistique, ça signifie qu’on se relève avant que la dizaine ne sonne. Le gars en uniforme rayé saute alors autour de mon corps lourd comme une puce minable et paumée, et détend ses doigts, l’un après l’autre en partant du pouce jusqu’à l’auriculaire, mais je sais bien, je sais toujours, que – même péniblement – je vais finir par me relever et mettre mes poings en évidence pour lui faire comprendre que rien n’est tout à fait déconnecté, écarquiller les yeux pour exhiber le rêve qui gicle de mes pupilles dilatées. Et jusqu’à présent, il a toujours fait : « ok ! ok ! bon pour la prochaine rouste ». Le knock-out qui vous étend pour de bon, je ne connais pas. Pas encore. Il arrivera un jour. Nécessairement. Personne n’est invincible."

lundi 14 septembre 2009

Pavés

Il sont quatre et leurs mouvements furtifs dans le renfoncement d'une entrée de boutique attirent mon attention. Ils se serrent les uns contre les autres, le regard dissimulé par des capuches ; je distingue seulement la bouche de l'un d'eux, hilare, le rougeoiement de la cigarette d'un autre. Ils se penchent avec des mines de comploteurs, leurs têtes se heurtent. Entre leurs mains, ils tiennent des brassées de livres. Ils les comptent et les manipulent sans tendresse. Où les ont-ils trouvé? Je me dis que ce sont peut-être leurs livres de cours mais ce n'est guère plausible, car les volumes ont la taille de romans plutôt que de manuels scolaires, des couvertures colorées qui se retirent et qui bientôt planent au-dessus de leurs têtes.

Au même moment, ils entreprennent d'ouvrir un livre, circonspects, presque méfiants ; celui qui souriait prend un air dégouté, et tandis qu'ils les saisissent, le reste des livres mal calé sous leurs bras tombe sans qu'aucun ne fasse mine de les ramasser. La poussière des travaux qui s'élève m'évoque des paroles bibliques, je pouffe puis je cesse de pouffer, honteuse.

Après une seconde, celui qui souriait éclate de rire et referme son roman, il se cogne contre les murs et se bat les cuisses, satisfait de rire. Un petit, dont les bourrelets ondulent sous le tee-shirt, rapproche une page de son visage jusqu'à la toucher du bout du nez. Entre ses mains l'ouvrage semble fragile, sa tranche plie et cède. Il fait très sombre de leur côté de la rue car les lampadaires tout neufs ne fonctionnent pas encore.

C'est alors que les choses dégénèrent. Le petit gros reçoit le roman de celui qui souriait sur le coin du menton. Aussitôt le désir de vengeance supplante la curiosité qui lui faisait cligner des yeux dans l'obscurité. Prenant appui sur une barrière des travaux, il bascule de l'autre côté, poursuivant l'autre péniblement. Son livre l'atteint à la nuque et il devient bientôt aussi hilare que son comparse. Et tandis que leur deux collègues, indifférents à la scène partagent une cigarette, surprenant les passants qui ne les découvrent qu'au dernier moment, immobiles, silencieux dans leur renfoncement, ils continuent à se jeter ces pavés sans révolution...

dimanche 6 septembre 2009

mercredi 2 septembre 2009