lundi 29 décembre 2008

Perdre la tête

Le 24, chez ma mère, le téléphone a sonné. J'ai décroché.
« Allo, m'a dit ma grand-mère, je ne suis pas chez ma fille ?
- Si Mamie, ai-je répondu, mais tu parles à ta petite fille, Emeline.
- Ah, a-t-elle dit avant de se taire quelques instants.
J'ai repris :
- Maman est sortie faire des courses. Tu voulais lui dire quelque chose ?
- Et bien, a articulé ma grand-mère avec prudence, oui. Je voulais savoir si j'étais bien à V. avec elle. Dis-moi, toi, est-ce que je suis à V. avec toi ?
J'ai hésité.
- Je ne sais pas. Je suis chez Maman mais toi, où es-tu ?
- Et bien, je suis dans ma résidence, tu sais, Athéna. Mais depuis ce matin je ne sais plus où je suis. Tu pourras dire ça à ta mère ? Que je ne sais plus où je suis ?
- D'accord Mamie. Mais, tu vas bien, quand même ?
- Oui, oui. Allez au revoir ! »

Hier, j'ai contemplé le visage de mon oncle aux cheveux devenus gris, ses yeux perdus de sourd au milieu de la cohue de la tablée familiale et je me suis demandée comment aurait été mon père, son frère, assis à ses côtés. Une photo de mon album familial, maintes fois interrogée, s'est rappelée à moi : à Saint-Victor, dans la maison de mon oncle, on fêtait Noël. Tout le monde souriait. Les bras des enfants dont j'étais, avec ma tignasse ébouriffée et mes petites lunettes en métal rouge, se tendaient vers le plafond. Les plus petits étaient coiffés de chapeaux pointus. Autour des bouilles hilares les confettis dégringolaient, poinçonnant de couleurs vives un oeil, un menton, un front. Seul, adossé à un mur, en retrait, mon père paraissait rêver, ailleurs, le regard dans l'ombre. Soudain le présent et le passé se sont mêlés et j'ai eu l'impression que la solitude de mon père sur le cliché c'était la mienne aujourd'hui, et qu'absent tout en étant présent autrefois, il pouvait être, aussi bien, présent tout en étant absent ce jour-là.

Comme à chaque fois en présence de mon oncle, je me suis souvenue de ses larmes au téléphone lorsqu'il m'avait annoncé la mort de mon père et je me suis répétée sa promesse, après l'enterrement "restons proches, restons une famille." Il y a quatre ans que je ne l'ai vu et il ne connaît pas mon fils mais c'est comme si nous n'avions pas perdu contact : mon oncle ne m'a posé aucune question et n'a pas entendu les miennes. Il s'est contenté de me sourire en remplissant ma coupe de champagne, chaque fois qu'elle était vide. J'ai chassé d'un geste le nuage de la déprime qui menaçait au-dessus de moi et j'ai bu. La légèreté s'apprend, songeais-je, et ce n'est pas si difficile quand il y a du champagne.

Peu après j'ai évoqué un souvenir :
« Papa aussi avait besoin de courir tous les jours, ai-je annoncé à mon cousin Christophe, marathonien en herbe.
- Mais non, a rétorqué ma belle-mère, veuve de mon père. Il ne courait pas. Il n'a jamais couru.
- Ah bon ? Tu es sûre ai-je dit, perplexe. Je me souviens qu'il partait, en survêtement, tous les jours, à Parilly.
- Non. Il marchait. Nous marchions. D'un bon rythme, mais Félix n'a jamais fait de footing je t’assure.
Le champagne a grésillé dans ma gorge. J’ai avalé un peu trop vite et j’ai toussé.
- Oh ! Très bien ! Tu dois avoir raison alors, ai-je ri, comme si, aussitôt, je n’avais pas réalisé qu'il me faudrait encore recomposer toute mon histoire familiale d’après ce léger changement. »

Le jour de Noël, ma sœur Anna et moi avons entrepris d’aller sonner aux portes des voisins à la recherche de chocolat noir pour la sauce du poulet aux langoustes. Les Bertrand nous ont accueillies à bras ouverts et leur caniche a haleté à nos pieds, mais, à leur grand regret, ils n’avaient pas de chocolat à nous donner. Là-dessus, une porte s’est ouverte et Mr Blanc est sorti, ventre en avant, pour proposer son aide. Las, il n’avait pas de chocolat non plus.
« Pourtant vous n’êtes pas au régime, a plaisanté Mr Bertrand, ah ah ! Ou alors c’est un secret qui ne se voit pas !
- Ah ah, a répondu Mr Blanc, et bien non ! Pourtant je n’en ai vraiment pas, de chocolat ! Allez donc voir chez les Polis. Ils ont leurs cinq petits enfants à la maison, ils doivent bien avoir du chocolat. »

Et Anna et moi avons gravi deux étages de plus pour interroger les Polis. Il y a bien une dizaine d’années que je n’avais vu Paul, leur fils, qui fut, quelques mois durant mon petit ami tandis que je finissais le lycée, et un curieux trac m’a rendue flageolante. C’est lui qui a ouvert, inchangé. Sa mère a suivi et ma sœur lui a demandé du chocolat. Madame Polis est partie en chercher en cuisine.
« Alors, m’a dit Paul, tu écris, il paraît ? J’ai feuilleté tes nouvelles et j’ai cru reconnaître certains éléments autobiographiques… Même très autobiographiques.
J’ai froncé les sourcils.
- Oui. Si on veut. Pour L’ombre de ton chat je me suis inspirée, de très loin, de ma mère. C’est tout. Dans l’autre tout est imaginaire. Enfin presque.
Je bredouillais, bégayais et aplatissais ma frange rebelle du bout des doigts. Paul me scrutait intensément de ses yeux myopes.
- Tu as quatre enfants alors ? ai-je demandé à mon tour. C’est incroyable ! Quel boulot !
- Oui, a-t-il dit, très fier. Ici on se repose, les grands-parents nous relaient. Et tu vois, j’ai mis mon pull vintage pour faire plaisir à ma mère.
Il a saisi entre deux doigts un lainage bariolé, typique des années 90. J’ai souri.
- Tu dois le reconnaître toi aussi ?
Nos regards se sont croisés et j’ai sursauté, assaillie par le souvenir de nos étreintes maladroites et furtives dans ma chambre qui ne fermait pas à clefs. Il me semblait que le pull exhalait l’odeur de nos amours adolescentes.
- Oh ! ai-je soufflé en désignant un gamin qui nous regardait du couloir de l’appartement, c’est ton petit dernier ?
- Non, lui c’est le troisième ! Viens dire bonjour André !
L’enfant n’est pas venu, ma sœur est descendue porter le chocolat en cuisine et je me suis adossée au mur de l’allée.
- Tu vas bientôt avoir l’âge qu’avait ton père à sa mort, non ? a dit Paul.
- Mais non, ai-je protesté. Que vas-tu chercher ? Il reste encore huit ans. Enfin sept. Et puis ça va beaucoup mieux tu sais. Ca ira, j’en suis certaine. Enfin je pense… On ne sait jamais mais…

- Emeline, a crié ma mère, viens finir la sauce !
- Oui, j’arrive ai-je répondu en me redressant. Allez, joyeux Noël, ai-je dit à Paul. A bientôt…
- Joyeux Noël, a dit Paul. Restons en contact…»

Illustration :
Ray Caesar

mercredi 24 décembre 2008

Joyeux Noël !

Et de belles fêtes à tous !
Merci pour tous les échanges qui ont eu lieu ici. Merci pour les belles rencontres jamais décevantes qui ont suivi.
A très vite...

mardi 23 décembre 2008

Pour la nouvelle année

Une idée saugrenue vient de jaillir de mon esprit plus qu'ensuqué* : et si pour la nouvelle année mes lecteurs me proposaient des thèmes de billets ?
On va dire que vous pourriez laisser vos sujets dans les commentaires et que je tirerai au sort les 5 que je traiterais. Par exemple...
Ne bridez pas votre imagination, parfois il suffit d'un mot pour déclencher la mienne...

*Billet à venir

dimanche 21 décembre 2008

Elle venait d'avoir dix-huit ans

Sa frange arrondie pèse sur ses paupières et elle ferme les yeux à demi. Son visage s'anime brusquement : son petit nez se fronce, elle mord sa bouche rouge et bat des cils. Elle semble avoir à peine dix-huit ans. Elle danse sur place et rit, en jouant de ses prunelles.

A son épaule, une besace où sont accrochées de minuscules peluches roses et vertes, à son bras un homme qui la contemple et tout autour une foule qu'elle ne remarque pas. Elle appuie sa joue sur la veste de velours de l'homme. Se recule, vacille et rit encore.

Juste avant que leurs lèvres se frôlent je me disais "qu'ils ont l'air proches ce père et sa fille, que c'est beau !"

vendredi 19 décembre 2008

Mon petit lutin

Petit bonhomme en bleu, le front ceint de boucles blondes, il ne nous cherche pas du regard.

Tandis qu'à quelques pas devant lui, Marc-Antoine pleure, essuyant sa morve dans son pull, que Lucien se retourne les oreilles pour ne pas entendre le brouhaha des enfants excités et des parents impatients, Kéké regarde ses mains sagement posées sur ses genoux, et il sourit d'un air malicieux. Je me suis glissée au premier rang, entre deux photographes ; lorsque je me retourne, je n'aperçois plus B. que j'ai laissé, adossé contre un mur, derrière moi. Les classes entrent les unes après les autres et le directeur conduit les enfants jusqu'aux bancs où ils s'assoient, en désordre. Les moyens et les grands saluent de loin leurs parents. Les plus petits, intimidées par la foule venue les admirer, hésitent entre rage, désespoir et hébétude.

Par moment, c'est la bousculade. Une mère escalade les premiers rangs pour aider son enfant à ôter son gilet, un père hausse la voix pour exiger que le sien se calme, deux gamins s'empoignent sauvagement et roulent sur le sol, les photographes ordonnent "lève la tête, baisse la tête, souris, arrête de bouger !" Des vagues naissent au fond de la salle et finissent par ébranler le chapelet d'enfants assis qui se mettent à escalader leurs sièges, leurs voisins et à courir dans la pièce exigüe. Pourtant, il me suffit de contempler Kéké pour me sentir en paix. Il semble insensible à l'agitation. Il rit, fait danser ses pieds, de temps en temps lève la tête et sourit aux adultes dont il croise le regard. De loin, il me semble que je le découvre, ce petit être que je connais depuis toujours et il m'étonne. Qu'il est espiègle et libre ! Serein, heureux, fort !

Je pense à sa question au petit-déjeuner : "C'est qui le Père-Noël ? m'a-t-il demandé" et j'ai bredouillé, maladroitement, une réponse vaseuse. Le doute me tenaille en réalisant que je ne me sens pas capable de l'aider à croire à cette histoire que je trouve belle. Comment puis-je donner quelque chose que je ne me souviens pas avoir possédé ? Mais la maitresse aux cheveux orange frappe dans les mains. Le directeur demande un silence que les parents accordent à regret. Alors les enfants, en chœur, entonnent la chanson des retours de récréation, ils tapent dans les mains, articulent les paroles puis tapent des pieds, pour se réchauffer. Sont réunies cinq classes de vingt-sept enfants et la clameur est extraordinaire. Il y a le distrait qui cherche sur les lèvres des autres, les paroles perdues, la star qui secoue ses cheveux, Marc-Antoine qui sanglote de plus belle et celui qui ne fait rien, qui reste silencieux, content, et semble rêver sa vie : Kéké.

Alors, sans s'annoncer, les larmes s'accumulent et inondent mon visage.
Surprise, je pleure.
A l'émotion qui a provoqué ces larmes s'ajoute celle de pleurer. La joie ressemble tellement au chagrin parfois ! Je farfouille dans mon sac à la recherche d'un mouchoir. Sous le préau, les chants se succèdent : la chanson du grand-père à barbe blanche et celle du renne, la chanson des lutins, la chanson de la hotte, la chanson de l'hiver. Ensemble, plus ou moins, les enfants comptent sur leurs doigts, claquent la langue contre leur palais et hurlent les mignonnes paroles. Quand le public applaudit, Kéké se redresse, radieux. Ses yeux parcourent l'assemblée, il jubile. Cécile, sa maîtresse, a aussi, il me semble, les yeux embués. J'ai envie de lui crier que je l'aime en la serrant dans mes bras. J'ai envie de sangloter sur son épaule. Je tamponne mes paupières sans quitter mon fils des yeux.

C'est son premier spectacle de Noël !

Illustration : Marion Peck

jeudi 18 décembre 2008

Aujourd'hui, le plafond est de verre

Après une soirée arrosée au champagne, au Vinsanto, au vin rouge et au vin blanc, sans oublier un peu d'Evian, j'ai failli oublier d'annoncer la parution d'un texte d'Olympe très juste et drôle que vous lirez, je l'espère avec autant de plaisir que moi...

lundi 15 décembre 2008

Chez le boucher

Cette fille fardée, ondoyant sur ses hauts talons, consciente de sa grâce et de la longueur de ses jambes, se doute-t-elle, un seul instant, que la première chose que l'on aperçoit, sur son visage, c'est une moustache épaisse, mal décolorée ?








Illustration
: Art and Ghosts

jeudi 11 décembre 2008

Le destin d'Agatha

Auteur d'une pièce de théâtre, elle cherchait une chanteuse classique pour interpréter un air dans son spectacle. Elle m'avait appelée et nous nous étions retrouvées près de chez moi, Au rêve, un petit café rue Caulaincourt. Lorsque je la vis pousser la porte de l'établissement, je crus me voir : elle portait une longue jupe qui entravait ses jambes, un manteau d'une autre époque et des bottines à lacets. D'une main elle caressait ses longs cheveux roux tandis que de l'autre elle dessinait, dans l'espace, les phrases que sa voix rauque rendait presque inaudibles.

A peine assise, elle m'avoua que son prénom était un prénom qu'elle s'était inventé depuis peu. L'autre n'était pas laid et ne lui déplaisait pas mais elle avait voulu en changer comme on change de peau. Fascinée, je lui demandai comment son entourage avait réagi et évoquai une amie qui avait abandonné son prénom après le suicide de l'amant qu'elle venait de quitter. Des années après, sa famille continuait de l'appeler par son prénom de naissance tandis que ses amis s'étaient adaptés au changement. Avait-elle l'impression de revêtir une ancienne peau chaque fois qu'elle retrouvait les siens ? Et qu'est-ce que cela lui faisait d'être à la fois avant et après ? Agatha n'avait pas ce problème m'expliqua-t-elle puisqu'elle n'entendait même plus quand on s'adressait à son ancien moi. Je me dis, douloureusement mais brièvement, que j'aimerais avoir l'audace d'Agatha.

Elle penchait la tête de côté en parlant et fumait cigarette sur cigarette. Nous évoquâmes nos parcours respectifs, elle comme comédienne, moi comme chanteuse, nos mains fendant la fumée qui cernait de coton nos visages. Nous avions les mêmes doutes, un parcours chaotique et après quelques minutes de conversation, nous pouvions achever les phrases de l'autre à sa place. Alors, nous n'eûmes plus rien à nous dire et nous décidâmes de sortir.

Montmartre, beau en ses hauteurs, était secoué par un vent furieux, grondeur, méchant. Agatha m'agrippa le bras parce qu'elle se tordait les chevilles sur les pavés. Nos cheveux se mêlaient sur nos épaules, nous empruntions des rues escarpées, désertes, en courant pour échapper à la tempête. Devant le Château des Brouillards, un bruit soudain nous fit sursauter. C'était une grosse branche d'arbre qui tapait contre la bâtisse. L'ampoule de l'unique lampadaire éclata et nous nous retrouvâmes dans l'obscurité. Nous faillîmes heurter la statue de Dalida devant laquelle nous restâmes songeuses, un peu tristes, passant nos doigts gourds sur les joues de bronze. Puis, Agatha inspira avec difficulté. Je reconnus le sifflement que je prenais souvent pour les cris de fantômes enfouis dans mes bronches ; je lui tendis ma Ventoline. A petit pas, à l'abri du vent, nous gravîmes une rue de plus avant de dévaler la rue Lepic jusqu'à la place des Abbesses. Là, buvant un chocolat chaud et je ne sais pourquoi, nous parlâmes de nos pères.

Agatha ne fumait plus et elle garda les mains jointes sur la table. Ses yeux bleus luisaient. Sa voix devint âcre pendant qu'elle me racontait son histoire. Elle avait rencontré son père à l'âge adulte, après avoir appris, enfin et par hasard, son nom. Le retrouver fut facile puisqu'il figurait dans l'annuaire. C'était un comédien et elle l'aurait reconnu sans hésiter parmi une multitude. Il passèrent une nuit à parler, à se regarder - ils se ressemblaient comme des jumeaux - à se raconter leur vie. En faisant sa connaissance, Agatha comprit sur elle-même des choses dont elle n'avait pas conscience auparavant. L'avenir lui parut simple et à portée de main. Le regard protecteur de son père et l'assurance de sa présence future ôta de ses épaules un poids qu'elle s'était habituée à porter. Au matin, après avoir dit au-revoir à son père, elle sortit dans la rue, aérienne, et, jusque chez elle, sanglota de joie et de soulagement. Epuisée, elle s'écroula ensuite sur son lit et s'endormit à la seconde.
Le téléphone la réveilla alors que la nuit tombait : son père venait de mourir d'une crise cardiaque.

La gorge serrée, je la quittai après d'insoutenables minutes de silence. Agatha fumait les yeux clos. Elle me tendit, muette, une main fragile que je serrai trop fort et je tournai les talons pour cacher mes larmes.

Nous ne nous revîmes jamais mais je pense souvent à elle.
Illustration : Ray Caesar

mercredi 10 décembre 2008

Blog et âme

Je l'attendais impatiemment et je ne suis pas déçue !

Dorham avait un sujet absurde et difficile, il s'en tire avec brio... Ce sera à 11 heures au Plafond.

N'hésitez pas à aller lui dire ce que vous en pensez !

samedi 6 décembre 2008

Le jugement de Desdémone

J'ai toute de suite pensé qu'elle avait de l'allure. Brune, grande et fine, le port de tête altier, elle frémissait des narines comme un pur-sang, battant la mesure de ses paroles péremptoires d'un claquement de mocassins. Contrairement à la plupart de mes élèves, elle s'était donnée un objectif précis : chanter pour le mariage de sa fille dans six mois. Pour cela, elle avait dans ses bagages, des années de piano et la flemme de s'y remettre.
"Tandis que chanter, tout le monde peut le faire, m'apprit-elle.
- Hum, et bien... dis-je, oui ! En quelque sorte.
- Enfin vous allez me dire, n'est-ce pas, s'il est possible ou non que je réalise mon projet ? Mais je crois, ajouta-t-elle en riant, que je ne ferai pas honte à l'orchestre qui m'accompagnera !"
J'ai ri avec elle de bon cœur car, après tout l'ambition ne me déplait pas.

Une semaine plus tard, Desdémone est arrivée, impatiente, pour son premier cours. Arc-boutée dans un tailleur beige au tomber évident, elle a attendu, les mains serrées l'une contre l'autre dans une pose doctorale, que les petites filles qui chantaient avant elle, quittent enfin la salle. Il me semblait que d'un moment à l'autre, une conférence allait commencer et j'ai réprimé un bâillement à cette perspective.
"Seigneur, s'est-elle écriée ensuite, je suis véritablement soulagée de voir qu'il s'agit d'enfants. Parce que, de l'autre côté de la porte, j'étais horrifiée par tant de laideur ! Elles chantaient faux à un point !
J'ai ri avec elle de bon cœur, car, parfois, la méchanceté ne me déplait pas.
- Amalia a un mois de chant, ai-je répondu. Elle ne s'en tire pas si mal. Sa sœur a six ans à peine. Le manque de justesse bien souvent, vous savez, ce n'est qu'un...
- Oui, oui, je sais ce que vous allez me dire, m'a coupée Desdémone. Et je vous crois mais quand même, je n'aimerais pas chanter comme cela. Enfin vous me le direz, n'est-ce pas, si je chante comme cela ? Il ne me semble pas - j'ai toujours chanté juste, on me l'a souvent dit - mais on ne sait jamais..."

Alors que, soucieuse de garder mon calme, je rangeais les partitions et disques du cours précédent, Desdémone a continué de parler :
"Alors, maintenant, vous allez me dire, dites-moi : où je me mets, qu'est-ce qu'on fait ? Je ne sais pas, moi, je suis là pour apprendre. Alors je me me mets là, c'est ça ? Au milieu ? On chante tout de suite ou bien...
- Desdémone, comme je vous l'ai dit lors du cours d'essai, nous allons faire, avant tout, quelques exercices de relaxation et de respiration.
- Oh bien, comme vous voulez ! C'est vous qui me dites, oui, c'est cela... Alors je fais comme vous. On s'étire ? Ah oui d'accord et on souffle en se pliant en deux. Ce n'est pas très naturel, dites-moi. Enfin c'est vous qui savez. Et c'est vraiment nécessaire de faire tout cela ?
- Oui, Desdémone. Car nous chantons avec tout notre corps.
- Comme c'est amusant, rit-elle. Alors donc, il faut vraiment faire des rotations de la cheville pour chanter ? Si vous le dites je vous crois, n'est ce pas ? C'est vous le professeur après tout. Et puis j'aime la gymnastique oui ! J'adore la gymnastique, c'est drôle non ? Ça tombe bien !"
J'ai ri avec elle de bon cœur car, après tout l'humour ne me déplait pas.

Finalement, la faire chanter a eu comme avantage immédiat d'interrompre la logorrhée de Desdémone mais son corps s'est mis à parler pour elle : déhanchement sec, claquement de pieds, menton tendu vers le plafond.
"Alors, m'a-t-elle demandé à la fin du morceau, je crois que nous allons devoir trouver quelque chose d'un peu plus difficile, non ? Enfin si vous me dites qu'il faut travailler celui-ci je le ferai. Bien que je n'aie pas tellement le temps, voyez-vous. Mais c'est vous le professeur, dites-moi...

J'ai ri avec elle de bon cœur, car le cours était enfin fini !


mercredi 3 décembre 2008

Blog et handicap

C'est un billet émouvant et fort qui sera publié aujourd'hui au Plafond, à onze heures par une blogueuse que je suis depuis longtemps et qui me touche beaucoup. Je me réjouis de vous la présenter...